Responsabilité délictuelle et internet : Amazon affrontera le juge français !

Avocat concurrence déloyale Nantes ParisLe règlement communautaire n° 44/2001 du 22 décembre 2000 pose notamment les règles relatives à la compétence du juge lorsqu’un litige revêt une dimension internationale, en matière civile et commerciale. L’article 5 de ce règlement dispose ainsi que « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : […] 3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

Aucune précision n’est néanmoins apportée par ce texte sur l’hypothèse d’un fait dommageable commis par le biais d’Internet, c’est donc le juge communautaire qui s’est chargé de fixer le régime applicable dans cette situation. La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 juillet 2017, a fait application de ces apports jurisprudentiels européens dans un litige impliquant notamment Amazon et Samsung.

En l’espèce, la société Samsung a conclu des contrats de distribution sélective portant notamment sur ses produits de la gamme « Elite » avec un certain nombre d’autres sociétés, dont les sociétés Concurrence et Amazon. Ces contrats de distribution sélective contenaient une clause interdisant la vente des produits concernés sur des plateformes Internet mettant en contact vendeurs et acheteurs, plus connues sous le nom de « places de marché ».

Reprochant à la société Concurrence de ne pas respecter cette clause, la société Samsung lui a notifié la fin de leur relation commerciale. La société Concurrence a rétorqué qu’elle n’avait pas à se soumettre à cette clause, au motif que cette dernière était appliquée de manière discriminatoire car Samsung tolérait que d’autres membres du réseau de distribution, et notamment la société Amazon, ne la respectent pas.

La société Concurrence a alors assigné en justice les sociétés Samsung et Amazon, afin que les relations commerciales perdurent sans avoir à respecter la clause litigieuse, à l’image du traitement réservé à la société Amazon, ou qu’à l’inverse cette dernière soit forcée de retirer toute offre en place de marché de produits Samsung.

La Cour de cassation a tout d’abord validé la décision des juges du fond par laquelle il a été considéré que la demande de la société Concurrence à l’encontre de la société Samsung était irrecevable car non nouvelle, une décision définitive étant déjà intervenue pour dire le réseau de distribution valide, son étanchéité étant sans pertinence à cet égard.

Les demandes à l’encontre d’Amazon ont quant à elles posées davantage de difficultés, Concurrence demandant que soient retirées non seulement les offres de produits Samsung sur la place de marché « amazon.fr » mais également sur les plateformes commerciales « amazon.de », « amazon.co.uk », « amazon.es » et « amazon.it ». En effet, ces sites ne visaient pas le public français, ce qui justifiait jusqu’alors la condition de compétence du juge français en matière de litiges liés à la vente sur Internet.

La Cour de cassation a en conséquence soumis à la Cour de Justice de l’Union Européenne une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 5 du règlement précité.

Le juge communautaire, dans une décision du 21 décembre 2016, a répondu que « l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 doit être interprété, aux fins d’attribuer la compétence judiciaire conférée par cette disposition pour connaître d’une action en responsabilité pour violation de l’interdiction de vente en dehors d’un réseau distribution sélective résultant de l’offre, sur des sites Internet opérant dans différents Etats membres, de produits faisant l’objet dudit réseau, en ce sens que le lieu où le dommage s’est produit doit être considéré comme étant le territoire de l’Etat membre qui protège ladite interdiction de vente, au moyen de l’action en question, territoire sur lequel le demandeur prétend avoir subi une réduction de ses ventes ».

Appliquant cette jurisprudence, la Cour de cassation a considéré que c’est à tort que le juge français s’est déclaré incompétent pour les demandes concernant les sites d’Amazon qui ne visaient pas la France. L’action en responsabilité menée par la société Concurrence étant prévue par le droit français, le juge français était donc parfaitement compétent pour juger la totalité des demandes relatives à cette action.

Sur le fond, la Cour de cassation a toutefois conclu, validant la décision d’appel, que faute pour la société Concurrence d’avoir démontré de la part d’Amazon « un rôle actif de connaissance ou contrôle des données stockées », cette dernière bénéficiait bien du régime de responsabilité allégé des hébergeurs.

Pas de déchéance pour non-usage pour la marque « Aventis » de Sanofi

Avocat droit des MarquesSelon l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, « Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ». Dans une décision du 5 juillet 2017, la Cour de cassation est venue apprécier l’usage fait de la marque « Aventis » par la société Sanofi.

 

En l’espèce, la société Sanofi a déposé en 1998 la marque verbale française « Aventis » ainsi que la marque communautaire éponyme, ces deux marques désignant notamment des produits pharmaceutiques en classe 5. Constatant que la société Aguentis avait déposé, le 20 octobre 2009, une demande d’enregistrement pour la marque française « Aguentis » visant les mêmes produits, la société Sanofi a formé opposition à l’enregistrement de cette marque auprès de l’INPI.

En réponse à cette opposition, la société Aguentis a assigné Sanofi devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, sollicitant que soit reconnue la déchéance des droits de cette dernière sur sa marque française précitée au motif qu’elle n’en aurait pas fait un usage sérieux. La société Sanofi s’est défendue en demandant reconventionnellement au juge de condamner la demanderesse pour contrefaçon de marque, l’utilisation du signe querellé « Aguentis » pour les mêmes produits créant selon elle un risque de confusion dans l’esprit du public.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris, par un jugement du 20 septembre 2011, a estimé que la déchéance de la marque française précitée devait être reconnue, la société Sanofi n’étant pas parvenue à prouver l’usage sérieux de sa marque sur le territoire français. De plus, la contrefaçon ne pouvait, selon la juridiction du premier degré, pas être constituée puisque la marque « Aguentis » n’avait pas encore été enregistrée.

La société Sanofi a alors interjeté appel de cette décision.

La Cour d’appel de Paris a été davantage convaincue par les preuves d’usage produites par la société Sanofi pour étayer l’usage sérieux de sa marque, notamment des factures et une attestation d’exploitation rédigée par le directeur des affaires de la société, et a en conséquence rejeté la déchéance de la marque française, ainsi que la déchéance de la marque communautaire soulevée en cause d’appel.

Par ailleurs, elle a condamné la société Aguentis pour contrefaçon. Après avoir rappelé que « le seul dépôt d’une marque, indépendamment de son utilisation effective sur le marché, est susceptible de constituer un acte d’usage non autorisé d’une marque préexistante », elle a considéré qu’il existait un risque de confusion dans l’esprit du public en raison des similarités tant au niveau des produits visés que des signes.

La société Aguentis a décidé de former un pourvoi en cassation, sans succès. Tout comme la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation a en effet rejeté la déchéance et a condamné cette dernière pour contrefaçon de marque.
La Cour de cassation a ainsi notamment rappelé que :

  • « le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à lui-même n’est pas applicable à la preuve des faits juridiques, tel l’usage d’une marque » : l’usage sérieux d’une marque peut donc être prouvé par des documents émanant de celui qui supporte la charge de la preuve.
  • le demandeur à la déchéance ne peut se contenter d’arguer du caractère interne des preuves d’usages transmises pour dire lesdites preuves impropres à la défense.
  • « il n’est pas nécessaire que l’usage soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux » et qu’un usage, même minime, peut être sérieux à condition « qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marchés au profit des produits ou services en cause ».

La société Aguentis n’est donc finalement pas parvenue à obtenir la déchéance de la marque « Aventis », et s’est vue sanctionner pour contrefaçon.

Quand le papier toilette le droit des brevets

Avocat brevetL’article L. 613-4 du Code de la propriété intellectuelle définit la contrefaçon par fourniture de moyens comme « la livraison ou l’offre de livraison, sur le territoire français, à une personne autre que celles habilitées à exploiter l’invention brevetée, des moyens de mise en œuvre de cette invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que ces moyens sont aptes et destinés à cette mise en œuvre ».

La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 2017, est venue apporter un certain nombre de précisions permettant de mieux appréhender cette notion peu souvent débattue en jurisprudence.

En l’espèce, la société Tissue France a obtenu en 2010 un brevet européen désignant la France portant sur un « distributeur de papier toilette dans lequel est logé le rouleau de papier toilette et le distributeur ». Il s’agissait d’un distributeur rond, intitulé « SmartOne », permettant de retirer les feuilles de papier toilette une à une sans que celles-ci ne soient froissées et ainsi d’éviter le gaspillage. L’invention reposait à la fois sur le boîtier de distribution de papier hygiénique et les dimensions particulières dudit papier.

Constatant que deux autres sociétés françaises, Sipinco et Global Hygiène, commercialisaient des distributeurs et des rouleaux de papier reprenant les caractéristiques de son invention, la société Tissue France a fait procéder à une saisie-contrefaçon dans leurs locaux puis les a assignées en contrefaçon de son brevet en mars 2011. Elle estimait que l’atteinte à ses droits était constituée en raison de la commercialisation à la fois des distributeurs et des rouleaux de papier toilette, considérant notamment que l’offre de livraison de ces derniers était un acte de contrefaçon par fourniture de moyens.

Le Tribunal de grande instance de Paris, par un jugement du 14 mars 2013, ne s’est pas prononcé sur la contrefaçon, ayant estimé que le brevet était nul en raison du manque de précision de sa description.

La société Tissue France a interjeté appel de cette décision. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 25 novembre 2014, a au contraire retenu la validité du brevet, après avoir vérifié que la description était suffisante pour permettre à un homme du métier de reproduire l’invention et que cette dernière résultait bien d’une activité inventive. Les juges du fond ont au surplus considéré que le distributeur prétendument contrefaisant reprenait la revendication principale du brevet, de sorte que sa commercialisation constituait bien une contrefaçon.

Toutefois, la contrefaçon par fourniture de moyens qui était invoquée par l’appelante en raison de la mise en vente de rouleaux de papier identiques a été rejetée. La Cour d’appel de Paris a en effet estimé qu’en matière d’invention de combinaison, donc d’invention consistant en l’association de plusieurs éléments distincts – le distributeur lui-même et le papier toilette -, le brevet couvrait l’invention dans son ensemble et non seulement un élément de celle-ci. Selon les juges, un élément ayant vocation à être combiné à d’autres ne pouvait pas être un élément essentiel de l’invention au sens de l’article L. 613-4 du Code de la propriété intellectuelle. De plus, il a été considéré que la mise dans le commerce de simples biens consommables, à savoir en l’espèce des rouleaux de papier hygiénique, ne pouvait constituer un acte de contrefaçon par fourniture de moyens.

La société Tissue France a alors formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation a cassé la décision d’appel, apportant notamment deux précisions importantes sur la contrefaçon par fourniture de moyens dans le cas d’une invention de combinaison.

Premièrement, l’un des éléments constitutifs d’une invention de combinaison peut tout à fait en être un élément essentiel. La livraison ou offre de livraison de cet élément peut donc être qualifiée de fourniture de moyens permettant de caractériser une contrefaçon. Deuxièmement, un bien, même consommable, peut être un élément essentiel de l’invention, au sens de l’article précité.

Blocage de sites streaming : les frais pèsent sur les fournisseurs d’accès à internet !

Avocat droit d'auteurEn cas d’atteinte à des droits d’auteur ou des droits voisins par le biais d’un service de communication au public en ligne, et donc notamment d’un site internet, l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle offre la possibilité aux titulaires de droits sur les œuvres protégées de saisir le Tribunal de grande instance afin que ce dernier ordonne « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte […], à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

Cet article ne précise cependant pas sur qui pèse le coût de telles mesures : sur le titulaire des droits qui forme l’action, ou sur celui chargé de mettre fin à l’atteinte ? La première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 6 juillet 2017, vient d’apporter une réponse à cette question.

En l’espèce, les sites www.allostreaming.com, www.alloshowtv.com, www.alloshare.com et www.allomovies.com offraient l’accès, en streaming et en téléchargement, à des œuvres protégées par le droit d’auteur, sans l’autorisation des titulaires de ces droits.

Plusieurs syndicats professionnels de producteurs cinématographiques ont alors assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris, sur le fondement de l‘article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, les fournisseurs d’accès à Internet français et plusieurs hébergeurs de moteurs de recherche. Ils ont à cette occasion sollicité que ceux-ci mettent fin aux atteintes causées par les sites litigieux par le biais, respectivement, d’un blocage empêchant le public d’accéder aux sites et d’un déréférencement des sites afin qu’ils n’apparaissent plus dans les résultats de recherches.

Le Tribunal de grande instance de Paris a accueilli leurs demandes par une décision du 28 novembre 2013, ordonnant aux fournisseurs d’accès à Internet de prendre sans délai toutes mesures propres à empêcher l’accès aux sites litigieux depuis le territoire français. Par ailleurs, le Tribunal de grande instance de Paris a également estimé qu’ils leur revenaient, et non aux demandeurs, de supporter le coût de ces mesures.

Les fournisseurs d’accès à Internet ont interjeté appel de cette décision.

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 15 mars 2016, a rejeté les prétentions des fournisseurs d’accès à Internet. Elle a notamment considéré qu’il ne pouvait être sollicité des demandeurs qu’ils payent les mesures pour que soit mis fin aux atteintes à leurs droits. Les juges d’appel ont statué en se fondant sur le principe général du droit suivant « une partie qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits ».

Les fournisseurs d’accès à Internet ont alors formé un pourvoi en cassation, arguant essentiellement du fait qu’ils n’étaient pas responsables civilement des contenus contrefaisants mis en ligne sur les sites Internet litigieux, et qu’il ne leur revenait dès lors pas de payer les mesures.

La première chambre civile de la Cour de cassation a délivré une réponse très didactique, remplaçant la motivation du juge d’appel par un motif de pur droit témoignant de sa volonté de faire la balance entre les différents intérêts en présence. Elle a tout d’abord rappelé que les fournisseurs d’accès à Internet n’engageaient pas leur responsabilité du fait des contenus dont ils assurent la transmission tant qu’ils n’intervenaient pas sur ces contenus, et qu’ils n’avaient aucune obligation générale de surveillance des contenus qu’ils transmettent.

Ensuite, La Cour de cassation a estimé que les fournisseurs d’accès à Internet étant les mieux placés pour mettre fin aux atteintes numériques aux droits d’auteurs, ils étaient tenus de contribuer à la lutte contre les contenus illicites et la contrefaçon, et qu’aucune disposition française ou communautaire ne s’opposait « à ce que le coût des mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause […] soit supporté par les intermédiaires techniques ».

Elle a en outre précisé que les fournisseurs d’accès à Internet ne pouvaient pas se prévaloir du principe d’égalité des charges publiques, dans la mesure où la défense des titulaires des droits relevait d’intérêts privés.

La Cour de cassation a néanmoins reconnu la possibilité pour les intermédiaires techniques de s’opposer au paiement de ces mesures mises en œuvre pour mettre fin à l’atteinte, reprenant sur ce point l’arrêt « UPC Telekabel Wien », rendu par la Cour de justice de l’Union Européenne le 27 mars 2014. Une opposition serait alors envisageable s’il était exigé des fournisseurs d’accès à Internet de faire « des sacrifices insupportables », c’est-à-dire si la mesure est disproportionnée « eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique des intermédiaires techniques ». Dans cette seule hypothèse, il serait alors possible de ventiler le coût de la mesure entre le fournisseur d’accès à Internet et le demandeur.

En l’espèce, le pourvoi formé par les fournisseurs d’accès à Internet a été rejeté dans la mesure où ils n’ont pas démontré en quoi les mesures qu’ils devaient prendre les forçaient à un tel sacrifice.

Il ne suffit pas de reprendre les caractéristiques d’une marque à l’opposé pour s’en distinguer

Avocat droit des MarquesSelon l’article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, « Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public : […] L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».

 

Si le terme d’imitation sous-entend avant tout la reprise de certaines caractéristiques de la marque, la Cour d’appel de Versailles rappelle, dans un arrêt du 20 juin 2017, que des caractéristiques opposées peuvent aller dans le sens d’une imitation si l’impression d’ensemble reste la même.

En l’espèce, la société Fromagerie Guilloteau a répondu en 2012 à un appel d’offres de Leclerc pour la production d’un fromage crémeux affiné. La société Fromagerie Guilloteau a finalement obtenu le marché et a conçu ledit fromage, nommé « Saint Marceault », ainsi qu’un emballage.

Ce dernier s’est avéré problématique puisqu’il semblait être l’exact opposé, tant par la forme que par les couleurs choisies, de l’emballage utilisé antérieurement par la société Fromageries Perreault, pour son propre fromage, le « Boursault », reproduit ci-dessous, et pour lequel une marque complexe a été déposée le 31 décembre 2016.

 

 

En effet, là où l’emballage du Boursault comportait un côté convexe et deux faces latérales concaves, celui du Saint Marceault était composé d’un côté concave et de deux faces latérales convexes. Les couleurs de l’emballage lui-même et du cartouche dans lequel apparaissait le nom du produit, respectivement beiges et rouges pour le Boursault, devenaient rouges et beiges pour le Saint Marceault.

Le producteur du Boursault a donc formé une action devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, à laquelle s’est jointe la société Savencia, titulaire de la marque « Boursault », ainsi que la société B.G, qui commercialisait ce fromage. Elles ont sollicité la condamnation de leur concurrent pour contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme.

Le Tribunal de grande instance de Nanterre, par une décision du 7 avril 2016, n’a été que partiellement convaincu par leurs arguments, puisqu’il a retenu seulement le parasitisme et rejeté les autres chefs de condamnation.

Il a ensuite été relevé appel de cette décision, et l’affaire a été portée devant la Cour d’appel de Versailles. Cette dernière a été bien plus sévère envers la société conceptrice de l’emballage du « Saint Marceault ».

Elle a d’abord observé qu’en dépit de quelques nuances, « l’emballage du Saint Marceault reprend les formes caractéristiques de la marque Boursault », formes qui sont très rares dans le secteur de l’industrie fromagère puisque les deux produits litigieux sont les seuls à les avoir utilisées. Elle a ajouté que la simple inversion des couleurs ne saurait différencier le produit aux yeux des consommateurs, mais bien au contraire conduirait ceux-ci à confondre les deux. Enfin, elle a relevé la similarité auditive des noms des fromages en cause, qui se terminent tous deux par la syllabe « sault ». La Cour d’appel de Versailles a ainsi considéré qu’étaient caractérisés les actes de contrefaçon par imitation.

Les juges du fond ont par ailleurs rejeté un argument invoqué par la société Fromagerie Guilloteau consistant à dire que le fait que le fromage Saint Marceault soit une marque distributeur permettait de le distinguer de l’autre produit litigieux. Ils ont ainsi soumis la marque distributeur aux mêmes conditions que les marques « classiques ».

La Cour d’appel de Versailles a également retenu, contrairement au juge de première instance, la concurrence déloyale. Elle a en effet relevé que, bien que la société Fromagerie Guilloteau était soumise à un appel d’offres, elle n’était pas forcée de créer un emballage aussi proche de celui du Boursault. Cette volonté de « reprendre sans nécessité de multiples caractéristiques » du Boursault témoignait d’un comportement fautif et déloyal.

Enfin, la Cour d’appel a retenu le parasitisme, considérant que la société Fromagerie Guilloteau s’était « affranchie des efforts financiers de conception et de création » de l’emballage de son fromage et qu’elle avait donc indûment profité de la valeur économique d’autrui.

La Cour d’appel de Versailles a donc confirmé partiellement la décision du Tribunal de première instance, concernant les faits de parasitisme, mais a infirmé le surplus en considérant que la société Fromagerie Guilloteau avait également commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Les sociétés Fromageries Perreault, B.G et Savencia ont obtenues collectivement près d’un million d’euros à titre de réparation des préjudices commerciaux et moraux subis.