La Cour d’appel de Bordeaux, par une intéressante décision du 7 novembre 2022 (n°19/06752), a été amenée à mélanger droit d’auteur et droit de la famille pour régler le sort d’œuvres détruites lors d’un divorce.
Contexte : Une œuvre murale détruite au cours du divorce pour permettre de revendre le bien
Au cours de son mariage, un époux avait réalisé dans le domicile familial une fresque murale librement inspirée d’œuvres préexistantes en y incorporant les visages de ses enfants et de sa conjointe.
Dans le cadre de la procédure de divorce, la jouissance du domicile conjugal avait été attribué à son épouse et cette dernière, dans l’optique de la revente du bien immobilier – et sur conseil de son agent immobilier – a repeint par-dessus la fresque, qui était au surplus dans une pièce accessible au public, sans avertir son futur ex-époux ni solliciter son autorisation.
Ce dernier l’a en conséquence assigné en justice, lui reprochant d’avoir porté atteinte à ses droits d’auteur, tant patrimoniaux (la peinture le privant de la possibilité de reproduire la fresque) que moral (le droit moral comprenant, pour rappel, le droit au nom, le droit de divulgation au public, le droit de retrait et le droit au respect de l’œuvre).
Solution : la destruction de la fresque est une atteinte au droit moral de l’ex-conjoint
1/ L’atteinte aux droits d’auteur est reconnue…
L’ex-épouse contestait d’abord, pour se défendre, l’originalité de la fresque : cette dernière avait été réalisée en reproduisant quasiment à l’identique des œuvres préexistantes, sans apport créatif selon elle.
La Cour d’appel considère toutefois que, malgré une inspiration ouvertement affichée d’œuvres antérieures connues, l’auteur y avait ajouté la représentation de sa famille, notamment dans les visages des protagonistes, et rassemblé au sein d’une fresque plusieurs œuvres, l’auteur ayant au surplus modifié divers éléments pour faire correspondre l’œuvre à son ressenti personnel.
Le juge, indiquant expressément qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la qualité de la fresque ou le talent de son auteur, relève donc que l’œuvre représente la vision de l’auteur de sa propre famille, et qu’il s’agit de ce fait d’une œuvre originale.
S’agissant ensuite de l’atteinte à ses droits d’auteur, le juge de première instance avait considéré qu’en signant l’acte de vente de la maison qui ne mentionnait pas la fresque, l’ex-époux avait tacitement autorisé la destruction de l’œuvre.
La Cour d’appel invalide ce raisonnement, considérant au contraire qu’aucun élément ne démontre que l’auteur ait en son nom donné son accord pour la destruction de son œuvre – même lorsqu’il a constaté, a postériori, cette destruction sans émettre de contestation immédiate.
2/ …Mais seule l’atteinte au droit moral est indemnisée
La Cour d’appel estime donc que l’ex-épouse aurait dû obtenir l’autorisation de son ex-conjoint pour détruire son œuvre murale ; en ne le faisant pas, elle a commis une faute.
Elle relève toutefois ensuite que l’auteur savait pertinemment qu’en vendant la maison, il n’aurait plus accès à sa fresque et perdrait donc toute possibilité d’exercer son droit de reproduction – et ce indépendamment de la destruction ou non de l’œuvre.
Il avait de plus eu tout loisir, avant la vente, de venir dans la maison – dont l’accès ne lui était pas fermé par sa future ex-conjointe – pour réaliser une copie de la fresque.
Elle rejette donc toute demande de sa part sur le préjudice patrimonial.
En revanche, n’ayant jamais donné son accord à la destruction de l’œuvre, droit moral qui appartenait à lui seul (n’étant pas un droit entrant dans la communauté des époux), il a effectivement subi une atteinte à son droit au respect de l’intégrité de son oeuvre.
La Cour d’appel prononce donc une condamnation, essentiellement de principe, à l’encontre de l’ex-épouse à hauteur de 500€.
En résumé, les fresques murales sont définitivement des œuvres matérialisant bien la difficulté à concilier propriété matérielle et propriété intellectuelle ; plus encore quand les relations conflictuelles d’un divorce s’en mêlent ! Le droit moral devient ici, en quelque sorte, une matérialisation du prix de la vexation subie par l’auteur.
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