Le tribunal judiciaire de Paris a rendu, le 10 avril 2025 (RG n°22/10720), un jugement très intéressant venant, sauf erreur de manière inédite en France, confronter la pratique de l’upcycling au droit de la propriété intellectuelle.
Contexte : une société fondée sur l’upcycling de produits issus du luxe
En 2021, une personne a créé une boutique en ligne vendant des vestes en jean comprenant un carré de tissu issu de foulards en soie d’Hermès, les acheteurs pouvant choisir le motif parmi plusieurs tissus licitement acquis en seconde main.
Il s’agissait donc de vêtements dits « upcyclés » ou « surcyclés », à savoir de vêtements reposants sur un produit récupéré et revalorisé, sans passage par un processus de destruction industrielle (par opposition donc au recyclage), une pratique gagnant récemment en popularité notamment eu égard à son opposition à la surconsommation vestimentaire.
La boutique ayant bénéficié d’une certaine promotion, Hermès en a eu vent et a engagé une action judiciaire devant le tribunal judiciaire de Paris pour lui interdire de continuer à vendre des vestes contenant ses tissus.
Elle estimait en effet que ces ventes caractérisaient une contrefaçon ainsi que du parasitisme.
Solution : la pratique de l’upcycling condamnée
1/ L’upcycling considéré comme une contrefaçon injustifiée de droits d’auteur
Le Tribunal commence, logiquement, par vérifier si chacun des 24 dessins utilisés par Hermès dans ses foulards de soie et objet du présent contentieux, sont originaux.
En l’espèce, tous sont considérés originaux, le tribunal s’étant attaché pour chacun d’eux à caractériser les choix esthétiques qui s’y exprimaient : Hermès bénéficiait en conséquence de droits d’auteur sur ces motifs.
Pour se défendre de toute contrefaçon, la défenderesse invoquait notamment l’épuisement des droits, mettant en avant qu’elle avait licitement acheté les morceaux de tissus, lesquels avaient donc déjà été commercialisés une première fois ce qui empêcherait le titulaire des droits de s’opposer à des reventes ultérieures.
Le tribunal a toutefois considéré que les découpes de ces tissus ont eu pour effet de les transformer de foulards en empiècement des vestes auxquelles ils étaient incorporés, de sorte que le support initial des dessins avait été remplacé (quand bien même il s’agit, physiquement, du même tissu) et que chaque veste constituait une nouvelle reproduction illicite – donc une contrefaçon.
De manière assez originale, la défenderesse sollicitait également une mise en balance des atteintes aux droits d’auteur de la société Hermès avec, d’une part, la liberté de création et, d’autre part, la protection de l’environnement.
La première est assez simplement évacuée par le tribunal, la défenderesse ne démontrant pas un caractère artistique à ses vestes autre que celui conféré par les foulards.
S’agissant ensuite de la protection de l’environnement, le tribunal rappelle que s’il s’agit d’un objectif d’intérêt général susceptible de justifier d’une restriction à l’usage du droit de propriété, aucune disposition communautaire ou légale n’érige l’upcycling comme justifiant une restriction aux droits de propriété intellectuelle.
Il considère également que, dans la mesure où le surcyclage des foulards s’inscrivait dans le cadre d’une activité commerciale, il y avait lieu de considérer que le but poursuivi était lucratif et non la protection de l’environnement (ce qui relève d’une logique contestable et condamne dans les faits tout upcycling commercial).
Le tribunal vient ensuite préciser que, même si la protection de l’environnement était l’objectif recherché, l’atteinte aux droits d’auteur serait en l’espèce disproportionné car, d’une part, les foulards présentaient toujours une valeur économique sur le marché de la seconde main, et d’autre part car les foulards n’étaient pas endommagés au point de perdre toute attractivité et de ne plus pouvoir être revendus tels quels au consommateur.
Il pourrait donc, à l’inverse, en être déduit que si ces deux conditions étaient réunies la protection de l’environnement aurait pu justifier une atteinte aux droits d’auteur.
2/ Des condamnations supplémentaires au titre du droit des marques et du parasitisme
La défenderesse est par ailleurs condamnée pour contrefaçon de la marque « HERMES », puisqu’elle utilisait ce signe à de nombreuses reprises sur son site Internet pour faire référence aux foulards mais également sur ses réseaux sociaux (notamment en tant que hashtag).
Le parasitisme est également reconnu, pas pour la vente des produits upcyclés en elle-même mais pour l’utilisation, sur la page Instagram de la société poursuivie, de photographies issues de campagnes publicitaires de la société Hermès.
En tout et pour tout, la société est condamnée à un peu plus de 20.000 euros de dommages et intérêts (auxquels s’ajoute toutefois une condamnation quasi-équivalente au titre des frais irrépétibles), soit une somme légèrement supérieure au chiffre d’affaires généré par la revente des vestes (une vingtaine d’exemplaires seulement ayant été commercialisés).
En résumé, ce jugement privilégie de manière nette les intérêts des titulaires de droits face à la pratique naissante de l’upcycling, à tout le moins lorsque ce surcyclage consiste à s’appuyer sur la transformation de produits issus du luxe. On peut néanmoins se demander si le tribunal se serait montré aussi ferme face à un upcycling mené davantage pour de véritables objectifs environnement que pour tirer partie de la notoriété de grandes maisons de luxe.
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