Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris a rendu, le 25 mai 2023, une décision intéressante dans un domaine de la propriété intellectuelle où elles restent peu fréquentes, à savoir le droit sui generis des bases de données.
Contexte : une saisie-contrefaçon fondée sur la protection de bases de données
Une société française concevait et commercialisait divers logiciels, parmi lesquels des logiciels dénommés « Phantoms » permettant l’extraction de données (en vue de leur réutilisation commerciale) et de publication automatisée de contenus sur diverses plateformes telles qu’Instagram et Facebook.
La société Meta Platforms Ireland, qui exploite ces réseaux sociaux en Europe, estimait que cela constituait une atteinte à ses droits de producteurs de bases de données ; les sociétés américaines Meta et Instagram considérant pour leur part que cela portait atteinte à leurs marques respectives.
Ces trois sociétés ont en conséquence sollicité et obtenu du Président du Tribunal judiciaire de Paris l’autorisation de faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société adverse.
Cette dernière a en retour assigné en référé les trois sociétés aux fins d’obtenir la mainlevée de la saisie-contrefaçon ainsi que la rétractation de l’ordonnance l’ayant autorisée.
Solution : des réseaux sociaux accédant à la protection de bases de données
Meta considérée comme bénéficiant de la protection de bases de données pour Facebook et Instagram
Une base de données est un ensemble d’informations, de contenus, d’éléments organisés de manière à être accessibles.
La protection de bases de données passe par deux droits (outre les protections dont peuvent bénéficier chacun des éléments qui composent la base, notamment via le droit d’auteur) : le droit d’auteur (au bénéfice de l’auteur donc) et un droit spécifique, accordant une protection au producteur soit celui qui démontre avoir pris l’initiative et le risque d’investissements pour la création, la vérification ou la présentation d’une base de données (articles L.341-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle).
C’est au cas d’espèce ce second droit, dit droit sui generis, qui était en cause et contesté par la société saisie, qui estimait que Meta ne pouvait pas bénéficier de celui-ci dans la mesure où Meta Platforms Ireland n’était pas à l’origine de la création des bases de données de Facebook ou Instagram (ayant été créée après ces réseaux sociaux) et ou, d’autre part, les réseaux en question ne pouvaient être qualifiés de bases de données.
Le juge des référés considère dans un premier temps que les plateformes en cause sont bien composées de données (les éléments contenus des profils de leurs utilisateurs), lesquelles sont agencées de manière automatisée selon une présentation propre à chaque plateforme, et bénéficient d’une fonction de recherche permettant de retrouver ces données (en tapant le nom d’un utilisateur par exemple).
Par conséquent, pour le juge Facebook et Instagram entrent dans la définition des bases de données.
S’agissant ensuite des investissements de la société Meta Plateforms Ireland, le juge considère qu’il apparait raisonnable de penser qu’elle contribue aux investissements aux fins de vérifier et présenter les données des deux réseaux sociaux et a minima qu’elle participe à la recherche de données d’utilisateurs en Europe, de sorte qu’elle apparait recevable à se prévaloir du droit sui generis des producteurs de bases de données.
Le rejet des demandes en mainlevée et rétractation
S’agissant ensuite de la saisie-contrefaçon en tant que telle, le juge rappelle que les demanderesses à la saisie n’avaient pas à démontrer une atteinte à leurs bases (à savoir une extraction d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle de leurs contenus) puisque la saisie contrefaçon a précisément pour objet d’obtenir des preuves d’une telle atteinte.
En revanche, les sociétés avaient bien démontré qu’il existait un risque suffisamment étayé d’une telle atteinte permettant ainsi de mener la saisie.
Pour rejeter la demande de mainlevée, le juge relève au surplus que au cas présent le saisi avait refusé de respecter les termes de l’ordonnance et avait manifestement fait obstruction lors de la saisie : un tel comportement ne tendait pas, bien au contraire, à démontrer le manque de mérite de la saisie demandée.
En résumé, (après Le Bon Coin) des réseaux sociaux tels que Facebook et Instagram sont susceptibles de bénéficier de la protection de base de données prévue par le droit de la propriété intellectuelle. La société qui les exploite peut dans ce cas interdire à des tiers d’extraire de manière substantielle les données que ces réseaux contiennent mais également, avant de faire valoir ses droits en justice, solliciter qu’une saisie-contrefaçon soit menée pour obtenir la preuve des extractions.
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