Marque Pablo Escobar et ordre public : n’est pas Robin des bois qui veut…

Avocat droit des marques Nantes Dans un arrêt du 17 avril 2024 (T-255/23), le Tribunal de l’Union Européenne a examiné si le signe « Pablo Escobar » pouvait être enregistré en tant que marque ou s’il était contraire à l’ordre public.

 

Contexte : le dépôt de la marque communautaire Pablo Escobar

 

En septembre 2021, une société américaine nommée Escobar Inc. a sollicité auprès de l’Office Européen pour la propriété intellectuelle (l’EUIPO) l’enregistrement d’une marque de l’Union Européenne « Pablo Escobar » pour des produits et services divers et variés.

L’examinateur, puis la chambre de recours, ont tous deux rejetés l’enregistrement de cette marque.

Ils estimaient en effet que la marque demandée était contraire à l’ordre public (ce qui est un motif de nullité de marque), le nom de Pablo Escobar étant associé au narcoterrorisme et au cartel de Medellin.

Or, un signe contraire à l’ordre public ne peut en principe pas être enregistré en tant que marque, ce qui peut être le cas de signes insultants ou choquants.

 

Solution : une marque estimée contraire à l’ordre public

 

1/ la « réhabilitation populaire » de Pablo Escobar mise en avant par le déposant…

 

Pour contester le fait que le nom de Pablo Escobar soit contraire à l’ordre public, le déposant mettait en avant le fait que ce personnage soit devenu emblématique dans la culture populaire (notamment par l’intermédiaire de la série Narcos, retraçant son histoire).

Il indiquait ainsi que d’autres personnages, tels que Bonnie et Clyde, Al Capone ou Che Gevara avaient pu être enregistrés en tant que marque eu égard à la dimension symbolique de leurs noms, qui outrepassaient les éventuels crimes auxquels ils avaient été associés.

Enfin, le déposant mettait également en avant le fait que Pablo Escobar était également connu pour de nombreuses bonnes actions en faveur des personnes pauvres en Colombie, lui ayant valu le surnom de « Robin des Bois de Colombie », et qu’il n’avait jamais été condamné par la justice colombienne (s’il avait été incarcéré quelque temps, cela résultait d’un accord avec la justice colombienne – lui ayant permis de résider dans une prison qu’il avait lui-même construire, La Catedral – et non d’un procès).

 

2/ … insuffisante à effacer la contrariété à l’ordre public de la marque

 

Le Tribunal de l’Union Européenne n’a toutefois pas été convaincu par ces différents arguments.

Il rappelle tout d’abord que, pour apprécier la conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs d’une marque, il convient de vérifier si le signe sera perçu comme tel par le public pertinent, à savoir toute personne située dans l’Union Européenne qui, sans nécessairement être concernée par les produits et services visés, sera mise en présence du signe de manière incidente dans sa vie quotidienne.

En l’espèce, les examinateurs s’étaient davantage centrés sur le public espagnol, présentant historiquement une familiarité plus forte avec la Colombie et donc avec Pablo Escobar.

Pour le Tribunal, la chambre de recours était fondé à considérer que le public pertinent associerait le nom de Pablo Escobar au trafic de drogue et au narcoterrorisme ainsi qu’aux crimes et aux souffrances qui en découlaient, plutôt qu’à ses bonnes actions éventuelles en faveur des pauvres en Colombie et, partant, percevraient la marque demandée comme allant à l’encontre des valeurs et des normes morales prévalant au sein de la société espagnole.

La marque, si elle avait été enregistrée, aurait pu être perçue comme fortement offensante ou choquante, en tant qu’apologie du crime et que banalisation des souffrances causées aux milliers de personnes tuées ou blessées par le cartel de Medellin.

Le Tribunal de l’Union Européenne confirme donc le choix de l’EUIPO d’avoir refusé l’enregistrement de la marque Pablo Escobar.

 

En résumé, l’ordre public reste une notion subjective et, si  certains personnages historiques peuvent bénéficier d’une image plutôt positive dans une partie la culture populaire, l’enregistrement en tant que marque de leur nom impose néanmoins de s’assurer qu’une telle marque ne risque pas de heurter le public de manière générale : tel aurait été le cas, selon le Tribunal de l’Union Européenne, du nom Pablo Escobar, dont l’enregistrement est refusé.

 

 

 

 

 

 

Marque sur un aménagement de restaurant : refus d’enregistrement

Avocat droit des marques Nantes   Par une décision du 13 juin 2024, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a refusé l’enregistrement d’une marque portant sur un aménagement de pizzeria.

 

Contexte : Dépôt d’une marque portant sur l’aménagement d’un restaurant

 

Une pizzeria avait conçu un plan d’ameublement pour ses établissements, dont elle considérait qu’il resterait gravé dans l’esprit des consommateurs qui seraient alors en mesure de l’identifier spécifiquement parmi les autres acteurs du domaine.

 

La demande d’enregistrement de marque suivante avait donc été déposée pour des services de pizzeria et restauration :

 

Solution : Refus de la marque pour défaut de caractère distinctif

 

Pas de divergence avec les normes du secteur concerné

 

L’Office a commencé par rappeler que les marques doivent, d’après l’article 7, paragraphe 1, point b) du Règlement sur la Marque de l’Union Européenne, être distinctives, ce qui a été précisé par la jurisprudence comme signifiant (dans une lecture a contrario) qu’elles doivent permettre au public intéressé « de faire, à l’occasion d’un achat ultérieur, le même choix si l’expérience s’avère positive, ou un autre choix lorsque l’expérience s’avère négative » (T-79/00, 27/02/2002).

A défaut d’être distinctif, le signe considéré ne peut être enregistré à titre de marque.

En l’espèce, l’EUIPO a confirmé qu’un aménagement de restaurant pouvait bel et bien être enregistré, en principe, en tant que marque. Le demandeur versait à cet égard plusieurs exemples de marques ainsi admises à l’enregistrement.

L’Office a ensuite considéré que le signe en cause ne s’écartait pas suffisamment et de manière significative de la norme ou des coutumes du secteur concerné dans la mesure où les caractéristiques du restaurant (miroirs muraux fumés, four à bois doré, suspensions tubulaires, etc.), si elles pouvaient contribuer à l’expérience de service, ne seraient pas perçues par les consommateurs comme une indication d’origine, un signe de ralliement de clientèle.

 

En résumé et conclusion : il n’y a pas d’écart suffisant avec l’aménagement d’autres pizzerias, donc pas de distinctivité intrinsèque.

 

L’office non lié par les enregistrements antérieurs

 

Le demandeur, comme indiqué précédemment, soutenait par ailleurs que sa demande d’enregistrement devait être acceptée puisque d’autres marques similaires avaient d’ores et déjà pu être admises par l’Office.

Sur ce point, l’EUIPO rappelle un principe classique selon lequel il n’est pas lié par ses décisions ou les enregistrements antérieur(e)s et a souligné que les cas invoqués n’étaient pas directement comparables puisque les signes en cause faisaient référence à l’aménagement de restaurants mais également à des éléments verbaux.

Il termine en précisant que :

  • « les langues et les pratiques d’examen évoluent dans le temps et il est donc possible que certaines des marques mentionnées aient été acceptées car elles étaient considérées comme enregistrables au moment de la demande, même si elles ne le sont pas actuellement».
  • « lorsque les marques sont effectivement enregistrées contra legem, il existe un mécanisme pour traiter de tels cas, à savoir celui de la procédure de nullité».

 

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Œuvre créée par une IA: des réponses du côté de l’oncle Sam

 

Avocat droit d'auteur Nantes Le 18 août 2023, la Cour de district des Etats-Unis pour le district de Columbia (Washington) a rendu un jugement particulièrement intéressant, et attendu, sur le sujet des œuvres créées par une intelligence artificielle.

 

Contexte : une œuvre graphique créée par IA sans intervention humaine dont la protection par le copyright a été refusée

 

Une personne avait développé un système informatique, nommé « Creativity Machine », capable de créer des œuvres visuelles de manière automatisée et sans nécessiter d’intervention humaine. Concrètement, il s’agissait donc ici d’œuvres créées par IA.

Il sollicitait la protection par le copyright de l’œuvre suivante, nommée « A Recent Entrance to Paradise » :

 

 

Il estimait ainsi que, en tant que propriétaire de l’IA, le copyright d’une œuvre créée par cette dernière devait lui être transféré.

Le Copyright Office a toutefois refusé l’enregistrement, considérant qu’il n’y avait ici pas de création humaine, ce qui était, selon lui, une condition à l’obtention du copyright : il ne pouvait donc ici pas même y avoir de copyright à transférer.

Le déposant avait contesté cette décision devant la Cour de district des Etats-Unis pour le district de Columbia, conduisant cette dernière à devoir répondre à la question suivante : une œuvre créée entièrement par IA, sans implication humaine, est-elle éligible à la protection par le copyright ?

 

Solution : La protection du copyright exclue pour une œuvre créée exclusivement par IA

 

L’incompatibilité d’une œuvre créée par IA sans intervention humaine avec la logique du copyright

 

La réponse de la cour ne se fait guère attendre : le copyright protège uniquement les œuvres créées par un être humain et non les œuvres créées par une IA.

Si le cadre légal du copyright a effectivement, comme le faisait remarquer le déposant, évolué au fil du temps pour s’adapter aux créations réalisées à l’aide de technologies constamment renouvelées, la Cour rappelle que cette adaptabilité a toujours été menée en tenant compte du fait que la créativité humaine était la condition sine qua non du copyright ; jusqu’alors, cette créativité était conjurée à travers de nouveaux outils ou apposée sur de nouveaux médias.

Pour la juge américaine, accorder une protection sur une œuvre générée par une technologie non guidée par la main humaine reviendrait à distordre le copyright à un point tel qu’il remettrait en cause ses fondements mêmes.

A son fondement même, le copyright a en effet pour but d’inciter la création humaine et ainsi promouvoir les arts : une machine n’a pas besoin de cette incitation pour créer.

La juge rappelle également que les Cours américaines ont jusqu’alors, unanimement, décliné toute protection par le copyright d’œuvres créées sans implication humaine, qu’il s’agisse d’œuvres prétendument nées d’un auteur divin ou d’œuvres d’origine animale, tel le selfie du macaque Naruto.

 

Droit d’auteur et IA en droit français

 

Si copyright et droit d’auteur ne sont pas identiques, la condition de l’intervention humaine est toutefois également bien présente en droit français.

Au moins aussi fermement qu’aux Etats-Unis, l’auteur au sens du droit d’auteur ne peut être qu’un être humain, la condition la plus importante de la protection (l’originalité de l’œuvre) impliquant qu’on puisse retrouver dans l’œuvre l’empreinte de la personnalité de son auteur, personnalité qui ferait défaut à l’intelligence artificielle.

L’on peut ainsi reprendre l’interrogation que se pose la juge américaine, prospective : alors que les auteurs vont être amenés à utiliser de plus en plus les IA dans leur processus créatif, quel degré d’implication humaine sera alors nécessaire pour qu’une œuvre créée conjointement par humain et IA soit protégeable ?

Affaire à suivre donc pour les œuvres créées par IA en France…

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Signature électronique : le crédit doit être remboursé

avocat contrat informatique Dans un arrêt du 21 décembre 2023, la Cour d’appel de Bourges s’est prononcée sur la question de savoir si la signature électronique de la page de garde d’une fiche d’information valait signature d’un contrat de crédit.

 

Contexte : une demande en remboursement d’un crédit bancaire

 

Un particulier était assigné par un établissement bancaire devant le juge des contentieux de la protection en paiement d’une somme due en vertu d’un crédit prétendument souscrit par voie électronique.

En première instance, la banque avait été déboutée de ses demandes aux motifs que l’offre préalable de crédit ne mentionnait pas la signature électronique de l’emprunteur avec le nom de celui-ci et la date de signature, que l’attestation de conformité ne couvrait pas la période durant laquelle le contrat avait été signé et que la banque ne produisant aucun élément de vérification de l’identité de l’emprunteur.

La banque a alors interjeté appel.

 

Solution : l’emprunteur est condamné au remboursement du crédit

 

La signature de la page de garde du dossier de crédit ne vaut pas signature du contrat

 

La Cour d’appel a commencé par rappeler les règles prévues par le Code civil en matière de droit de la preuve, et en particulier l’obligation d’apporter par écrit la preuve de l’existence d’un acte juridique portant signature privée ou authentique lorsque la somme en cause excède le montant de 1.500 euros.

S’agissant de la signature électronique, la Cour a resouligné qu’elle consistait en « l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ». La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve du contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie.

Or en l’espèce, le seul document portant la signature électronique de l’emprunteur était la page de garde du dossier de crédit de 28 pages, qui évoquait les références du dossier et son sommaire, mentionnait pour sa part l’offre préalable.

Les juges ont, dans le cas qui nous occupe, tranché en ce sens que cette page de garde ne saurait être confondue avec l’offre préalable de crédit.

Par conséquent, l’offre ne portait ni de signature électronique ni la date afférente.

 

L’existence d’un commencement de preuve par écrit néanmoins retenue

 

La Cour d’appel a ensuite poursuivi son raisonnement et posant qu’il convenait désormais de rechercher l’existence d’éléments susceptibles de conforter le commencement de preuve par écrit.

A cet égard, les juges ont relevé que les fonds avaient été remis par la banque et que l’emprunteur avait commencé à exécuter son obligation de remboursement en s’acquittant de plusieurs échéances.

La Cour a donc finalement retenu qu’un contrat de crédit avait bien été conclu et a infirmé le jugement de première instance, condamnant ainsi l’emprunteur au remboursement.

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Cession avant dépôt des droits sur un dessin et modèle : aucune inscription n’est nécessaire pour agir en contrefaçon

Avocat droit dessins et modèles Dans un arrêt du 31 janvier 2024, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de savoir si le déposant d’un dessin et modèle a qualité à agir en contrefaçon alors même qu’une cession antérieure au dépôt n’a pas été inscrite au registre national des dessins et modèles.

 

Contexte : le déposant d’un dessin et modèle peut-il agir en contrefaçon en l’absence de publication d’une cession intervenue antérieurement ?

 

Dans cette affaire, une société de prêt-à-porter avait acquis un dessin d’imprimé représentant des rosaces. Postérieurement à cette cession, la société avait effectué un dépôt du dessin auprès de l’INPI.

Constatant la reproduction de cet imprimé sur des vêtements commercialisés par une société tierce, la société déposante l’a attaquée en contrefaçon de dessins et modèles.

Par un arrêt du 21 juin 2022, la Cour d’appel Bordeaux l’a déboutée de ses demandes et l’a reconnue irrecevable en son action en contrefaçon.

Ainsi, l’affaire est renvoyée devant la Cour de cassation pour trancher la question de la recevabilité de l’action en contrefaçon.

 

Solution : le rappel de la présomption de propriété pesant sur l’auteur de la demande d’enregistrement d’un dessin et modèle

 

La Cour d’appel avait débouté la société déposante en considérant qu’elle n’était pas recevable à agir en contrefaçon, en l’absence d’inscription au registre national des dessins et modèles de la cession, pourtant intervenue antérieurement à l’enregistrement. Elle estimait que le simple enregistrement du dessin et modèle ne pouvait pas suffire à lui conférer un droit d’agir, à défaut d’inscription de la cession.

La société demanderesse au pourvoi rappelait pourtant que la cession sur le dessin était intervenue antérieurement à tout dépôt, et qu’elle n’avait donc acquis un droit de propriété sur ce dessin qu’à compter de ce premier enregistrement.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux.

Elle vise l’article L. 511-9 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que : « La protection du dessin ou modèle (…) s’acquiert par l’enregistrement. Elle est accordée au créateur ou à son ayant cause. L’auteur de la demande d’enregistrement est, sauf preuve contraire, regardé comme le bénéficiaire de cette protection. »

La Cour de cassation rappelle ici l’existence d’une présomption de propriété au profit du déposant, laquelle ne peut être renversée que par une revendication de propriété par la personne qui l’a réalisé.

Ainsi, la société demanderesse au pourvoi était bien titulaire d’un droit de propriété opposable aux tiers, du simple fait de l’enregistrement du dessin et modèle, et avait bien qualité à agir en défense de ses droits, sans besoin d’inscrire la cession antérieure.

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